Vous aviez dit: Dégueulasse, Madame
« Dégueulasse ! »
En entendant
ce cri du cœur spontané de la Secrétaire d’Etat, Fadela Amara, en octobre 2007
à propos de la proposition d’amendement ADN de l’UMP, je la revoyais telle que
je l’avais connue à la fête du livre de Mouans Sartoux, un an auparavant. Petite, elle
était mince, élégante dans sa tenue soignée où dominait le sombre, col entrouvert, décontractée,
ouverte au monologue - moins au dialogue, déjà ; elle se tenait droite, avait un air sévère et rieur à la fois, charmeur mais toujours sérieux. En un mot, elle me parut bien sympathique. Nous avions pris le temps de bavarder un
instant, assis sur le muret délimitant l’entrée du salon. Elle accompagnait
Zineb, notre commune amie, à moins que ce ne fut Zineb qui l’accompagnât
Plusieurs autres jeunes femmes et un peu moins de jeunes hommes s'aglutinaient autour de nous, tous représentant « Ni pute ni soumise » et tous
admiratifs d’elle. Elle était venue participer, son dernier livre en main, aux
débats qui sont, à l’aune des salons littéraires, l’honneur de Mouans Sartoux.
Moi-même j’allais sortir « Grandeur et misères de l’antiracisme » que
je lui demandais de préfacer, ce qu’elle ne refusa pas, du reste - elle me
demanda seulement de lui en adresser, chose normale, le tapuscrit. Se
savait-elle déjà promise à un destin national si Sarkozy l’emportait aux
présidentielles d’avril/mai 2007 ? Rien n'est moins sûr. Elle n’était pas encore sinistre. Quoi qu’il en
soit, sa promotion ou sa future promotion l’empêcha, semble-t-il, de donner
suite à ma demande.
«L'ADN je
ne suis pas d'accord parce que je pense qu'on touche à quelque chose qui n'est
pas bon pour notre pays, avait déclaré Fadela devenue Secrétaire d’Etat. Je
le dis aussi en tant que fille d'immigrés: y en a marre qu'on instrumentalise à
chaque fois l'immigration, pour des raisons très précises. Je trouve ça
dégueulasse! Je suis une femme libre, ne l'oubliez jamais. J'ai la possibilité
de dire ce que j'ai à dire et, très franchement, le jour vraiment où ce sera
trop insupportable, le jour où ce sera trop dur, eh bien je partirai !»
Là, oui, je reconnaissais
notre Fadela. Et j’ai défendu cette femme indépendante, incorruptible, face à
mes amis de la gauche bienpensante qui l’abandonnaient, l’accusant d’être de
droite sans le dire, de s’être servie de NPNS comme d’un strapontin pour
s’élever dans l’échelle sociale, d’être traitresse à sa cause, à ses amis, à
ses frères et sœurs des quartiers défavorisés, issus de l’immigration. J’ai
même accusé cette gauche volontiers donneuse de leçons de n’avoir pas voulu, je
dis bien voulu et non pas pu, confier des responsabilités en rapport avec ses
qualités exceptionnelles, à cette femme de cœur.
Je l’ai défendue, parfois à la
limite de la bonne foi. Je sais que je n’ai pas un caractère accommodant. Toute
ma vie, je me suis opposé à ce genre de propos que leurs prédicateurs
présentaient comme des blagues sans importance. Des blagues que je trouve
d’autant plus odieuses quand elles sont racontées à l’occasion de réunions dans
lesquelles l’éthique les interdit. Alors, c’est souvent avant la réunion, ou
après sur le parking, qu’elles ont court, et les conteurs de se rengorger, les
auditeurs de ricaner, bêtement! Au Musée de la Résistance, par exemple ou dans les associations
pour la Mémoire, cela m’est particulièrement insupportable. Que d’engueulades
avons-nous eues, entre « camarades ». Et lorsque que Gaston Kelman,
l’écrivain qui se définit lui-même comme un Bourguignon noir de peau, donne à
lire à la fin de son excellent ouvrage « Je suis noir et j’aime pas le
manioc » une longue liste de blagues portant sur les tares dont "on" aflige les
nègres, je lui écris en toute amitié que les racistes n’ont
besoin d’aucune aide pour trouver ou inventer de telles histoires, que la
banalisation de ces plaisanteries douteuses ne fera pas baisser d’un iota le
racisme. Au contraire !
Parlons de Paul Girot de Langlade, Préfet
de son état, retraité depuis peu. « Déjà sur la sellette pour des propos contre les gens du voyage,
ce récidiviste aurait insulté une employée d’aéroport antillaise le 31
juillet 2009. Brice Hortefeux, notre ministre, l’un des soutiens
essentiels du Président Sarkozy, l’a suspendu vendredi ». Cela n’a pas
traîné, bravo ! Propos racistes ? Je reprends les termes du
journaliste de « Libé », mais on sait depuis peu qu’avoir de tels
propos, surtout quand on est sinistre, peut n’être considéré que comme une simple galéjade. Alors je mets un
bémol sur mon bravo. Non que je veuille exonérer des propos racistes, surtout
venant d’un préfet représentant notre chère République – j’ai, militant du Mouvement La Paix Maintenant, donné raison en son temps à Mme
Alliot-Marie pour le limogeage du préfet Guigue qui « voyait » des
snippers devant les écoles maternelles des territoires palestiniens occupés par
Israël, tout comme José Bové « avait vu » des barbelés et des
miradors autour de Ramallah. Les
sanctions qui s’appliquent à un préfet de la République doivent être identiques,
pour la même faute, à celles qui s’appliquent à un quidam, fut-il Ministre de
la même République, particulièrement quand les faits sont des attitudes ou des mêmes propos racistes.
Le Préfet Paul Girot de
Langlade est, selon Mouloud Aounit, le toujours président en exercice du
M.R.A.P. – le dernier congrès (26 et 27 janvier 2008) à réparti la tâche entre
4 co-présidents, mais les membres du M.R.A.P. autant que les médias ne le
savent toujours pas -, un «multirécidiviste de l’insulte». En octobre 2002,
controverse avec des maires du Vaucluse devant la presse, à propos des
gens du voyage. Il déclare n’avoir «aucune tendresse particulière pour ces
gens-là …Ils vivent à nos crochets, ils vivent de rapine. Ce sont des
gens qui roulent dans des voitures de luxe, qui ont des caravanes énormes et
qui ne travaillent pas…». Novembre 2006, dans un entretien à la
Nouvelle République du Centre-Ouest, il s’emporte : «Chacun sait que quand les gens du voyage arrivent quelque part, il y a de la
délinquance.»
Tel est l’homme qui, retour de La Réunion, le
31 juillet 6 h 50, déclenche l’alarme en franchissant le portique de
sécurité de l’Aéroport d’Orly Ouest. Rappelons pour mémoire que notre Maire et
Ministre, Christian Estrosi, avait carrément cassé la vitre, lui, de l’Aéroport
de Nice, sans qu’à ma connaissance, cela ait eu la moindre conséquence sur son
avenir. Cependant, « Un agent de la
société Securitas demande au Préfet de vider ses poches ; le Préfet lui en
lance le contenu au visage. Une collègue du vigile lui demande de garder son calme. «On est où là ? aurait répondu le préfet à la jeune femme
d’origine antillaise. On se croirait en Afrique ici !» Devant l’agitation, des membres du personnel de l’aéroport
s’approchent. «De
toute façon, il n’y a que des Noirs ici !» aurait alors lancé le préfet, devant plusieurs témoins.
(Libération15/08/09)
Brice Hortefeux annonçait dans
un communiqué qu’il suspendait «immédiatement» Paul Girot de Langlade
de ses fonctions de coordinateur local des Etats généraux de l’outre-mer, «dans
l’attente des résultats de l’enquête en cours. « Je ne tolérerai jamais
que des propos racistes ou discriminants soient tenus dans notre pays, d’autant
plus par un représentant de l’Etat, quel qu’il soit», a affirmé le
ministre de l’Intérieur. Et cela n’a pas traîné, vive la République.
Mais voilà que le préfet assure, ne pas être raciste et
s'estime victime d'une "affaire orchestrée par le ministre de
l'intérieur" pour se "refaire une virginité"
d'antiraciste. « Je suis victime d'une cabale et je tiens à la
dénoncer. Je ne suis pas raciste, je l'affirme haut et fort… Cette
« affaire », qui n'était à l'origine qu'un banal incident, a été
orchestrée par l'actuel ministre de l'intérieur, probablement pour faire
oublier son passage au ministère de l'intégration où il a mené une politique
plus sévère que dans le passé, et pour se refaire à bon compte une virginité de
parfait antiraciste… il existe des preuves. Le Préfet s’étonne « de
la rapidité avec laquelle les témoins ont été entendus ». Il estime que
les plaintes ont été "téléguidées" : « la
scène a été filmée par les caméras" et le film conforte sa
version des faits. C'est ce qu'il affirme-t-il. » (Le Monde du 27/08/09).
Alors, je mets
un bémol à mon bravo. Que la Justice suive son cours, mais dans le cas où le
Préfet serait sinon blanchi, il ne l’est certainement déjà que trop, mais en
partie relaxé par les tribunaux, que veut dire une telle précipitation ?
Brice Hortefeux,
justement, n’est pas exempt de plaisanteries douteuses dont les victimes
sont obligées de ravaler l’écume amère par crainte de se faire virer ou, au mieux, de passer
par des gens sans humour, ce que la Gentry tolère mal et qui vaut exclusion. C’est vrai que l’humour
des puissants fait le coup de pied au cul des subalternes ! Et c’est vrai, aussi, que
ce qui est humour et légèreté en
haut n’est que manifestation de rancœur mal placée en bas. Ainsi, selon notre
Ministre et ami du Président, la secrétaire d'Etat à la ville, Fadela Amara serait « une compatriote, même si ce n'est pas
forcément évident!" L’ancien ministre délégué à la promotion de l'égalité
des chances sous le gouvernement De Villepin, s’entend interpeller par le
sinistre Hortefeu : « Allez, fissa, sort de là! Dégage d'ici, je te dis,
dégage! ». C’est ce que disaient les soldats français aux Arabes en Algérie",
précise Azouz Begag interrogé par Libélyon. Le 25 novembre, 2007, Brice
Hortefeux, encore ministre de l'immigration, quand il lui est demandé, sur le plateau de Capital s'il y aura toujours des sans papiers, répond : « Si
vous rêvez d'une société idéale dans laquelle, il n'y aurait que des citoyens
honnêtes, propres ! ». Libération évoque le fait que Rachida Dati elle-même , pourrait avoir qualifié ce cher Brice de "gros raciste". Des
propos que le quotidien met toutefois au conditionnel, mais qui selon Rue89,
auraient été tenus aussi bien en privé que devant Claude Guéant et quelques ministres qui lui étaient proches. Audrey
Cerdan, photographe à Rue89 dit avoir surpris une conversation douteuse
entre Brice Hortefeux et quatre jeunes Noirs lors de l'université d'été de
l'UMP à Seignosse dans les Landes, les 5 et 6 septembre. L’un des jeunes demande au
ministre une petite photo pour la Diversité.
Réponse de Brice Hortefeux selon Audrey Cerdan: " D'accord, mais vite alors, parce que la Diversité, j'ai déjà donné il y a quelques années" Durant le même Campus de l'UMP, Jean-François Copé présente en insistant lourdement, à
Hortefeux, Amine Benali-Broch, né à Dax, de père algérien et de mère
portugaise: « Il est Auvergnat, il est Auvergnat, il est adorable,
il est sans problème !» Serait-ce à dire que les autres maghrébins, ceux
qui ne sont pas intégrés – le mot intégré a été prononcé - à l’UMP, sont "à
problèmes" eux ? Ne sont-ce pas là paroles racistes ? On entend une
voix : « C’est notre petit Arabe ».
Le ministre de l'Intérieur déclare alors qu’il ne correspond pas au prototype, puis il ajoute : « Il en faut toujours un. Quand il y en a un ça va. C'est quand
il y en a beaucoup qu'il y a des problèmes ». (sources Libération, Libélyon, Canal +, Rue89).
Et cela fait
rire cette foule droitière, cette foule raciste, comme il y a 70 ans, quand on
tirait mon bisaïeul par la barbe en Pologne parce qu’il était juif, avant de lui
foutre le feu dedans – et l’on sait où cela s’est terminé. Ça fait peur aux gens
sensés qui savent, eux, que le racisme commence toujours comme une bonne blague
et se finit en exécutions massives. Moi, à la place d’Amine Benali-Broch, je
fuirais avant qu’il ne soit trop tard. Les circonstances ne fabriquent-elles pas les
extrêmes – nous n’en sommes pas encore là, heureusement - et les extrêmes
n'exécutent-ils pas, un jour ou l’autre, ceux qui les ont servis? L'histoire est pleine de ces drames-là.
Le Ministre se
défend. Mal, du reste. D’abord, il dit que ce ne sont là que plaisanteries innocentes
(il n’ose tout de même pas ajouter : entre amis. Un raciste intègre un
Arabe à son dispositif de combat, il n’en fait pas pour autant son ami), que
c’est du folklore auvergnat. Puis, il affirme qu’il parlait des photos, pas des
hommes. Pauvre défense !
Des gens
pourtant intelligents ont défendu notre sinistre ministre. Mais pour
intelligent que l'on soit, une cause indéfendable est toujours mal
défendue : Dalil Boubakeur prend cela pour une plaisanterie et lui
apporte son soutien personnel, tant la probité de ce ministre et son contact
ont été gratifiants pour les Musulmans d'Auvergne. Jack Lang est le seul membre
du PS à lui apporter un soutien explicite : « Je le connais depuis très longtemps, c'est un homme honnête. Il
n'a jamais cédé à des instincts racistes. Cet incident a été monté en épingle
et probablement mal interprété ». Henri Guaino, le conseiller du
Président Sarkozy qui, lui, n’a pas de temps à perdre, en profite pour mener
une attaque directe contre la démocratie : « la transparence absolue », est pour lui « le début du
totalitarisme… Voilà qui est nouveau, je croyais le contraire ! D’autant qu’il ajoute :
« S’il n'y a plus d'intimité, il n'y
a plus de discrétion ». Mais donnons-nous le même sens aux mots ?
La démocratie a-t-elle besoin, pour exister, du voile de la discrétion ?
Pas selon moi ! De quelle démocratie parle-t-il , de celle de la Mafia ?
Luc Châtel qui, lui, utilise – mal - des artifices marketing pour cacher ses
intentions et promouvoir dans un supermarché une mauvaise politique de l’Education nationale, hurle au
voleur : on ferait de cette affaire anodine, un prétexte : « C’est de l’acharnement ! »
Et puis il y a toi, Fadela, oh ! pardon, Vous Madame la Secrétaire d’Etat,
vous qui avez crié : Dégueulasse ! quand c’était dégueulasse. Vous
nous avez dit que ce n’était pas grave ; vous avez répété, comme Brice
Hortefeux, que c’était du folklore auvergnat ; qu’entre vous, les
Auvergnats, vous vous livriez souvent à ce genre de jeu qui marque vos
différences. C’est une ignominie. Vous eussiez dû être au premier rang des
protestataires, parce que vous êtes une fille d’immigrés ; parce que vous êtes
membre du même gouvernement et que les mauvaises paroles de Monsieur Hortefeux
vous engagent aussi ; parce que, peut-être, vous étiez son amie et que
seuls les amis peuvent tout se dire ; parce que cela allait de soi de ne
pas vous écraser comme une … comment dites-vous, déjà ? Parce que,
aujourd’hui, vous avez obtenu une énorme victoire dont jamais nous ne vous
féliciterons assez, celle de l’obtention du refus, après analyse, par le
ministre Besson, non pour des raisons de principe qui sont les nôtres, à vous
et à moi, mais pour des raisons de procédure – et cela signifie que le combat
n’est pas terminé – de signer le décret sur l’amendement ADN sur les immigrés. Pour
toutes ces raisons mais surtout, surtout pour cette dernière et unique raison
qui devrait encore nous rassembler, s’il n’est pas trop tard, c’est que c’est trop
insupportable et pour tout dire, dégueulasse.