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Déferlantes et Ecumoire
1 février 2014

Dieudirit, les gens sont...

Peut-on rire de tout ?

Sans doute, oui. Mais avec beaucoup de retenue et sans intention de blesser. Les humoristes de talent racontent des histoires qui frôlent la vérité de près, mais ils n’attaquent jamais les personnes ni les peuples. Les lieux favoris du rire sont : le comptoir, le bureau, les réunions amicales ou familiales, la scène. En général les blagues arrivent quand il faut meubler le temps. Alors, qui n’a pas entendu un collègue lui dire, en le rattrapant par la manche : "j’en ai une  bien bonne, c’est l’histoire de…" Je remarque, d'ailleurs, que la plupart du temps, il s'agit d'une blague à caractère racial mais difficilement assimilable à du racisme, car elle met en scène des personnes qui, pour être différentes du narrateur, n'en sont pas moins des gens qu'il aime bien... même quand il ne le sait pas lui-même.

Les cibles du rire sont, dans le désordre et de façon non exhaustive, les femmes, le poids et la corpulence des gens, leur ethnie, les outrances administratives, les erreurs répétées qui deviennent de mauvaises habitudes, les pratiques religieuses, la politique. Quelques exemples : Rire de la météo n’est pas un problème, car si les météorologistes vous annoncent grand soleil quand il pleut des cordes, ils seront mouillés, tout comme vous. Rire de la mère juive n’est pas un souci, car c’est une démonstration d’amour qu’elle fait à ses enfants quand elle vous les présente dans leur poussette : lui, le médecin, il a trois ans ; elle, l’avocate, elle a cinq ans ; elle veut qu’ils réussissent mieux que la génération de casquettiers qui les a précédés. Rire des Belges, pourquoi pas mais sachez que les Belges savent rire aussi. Rire des hommes qui creusent des tranchées dans la rue en leur demandant s’ils cherchent du pétrole est une blague éculée. Rire au bureau de l’administration qui vous demande un bordereau en six exemplaires pour obtenir une gomme, c’est rire de la stupidité administrative qui dépense plus pour économiser moins. J’avais un ami antillais très foncé de peau qui était le patron de la recherche sur les radars dans une grande entreprise française. Quand on lui redemandait un document parce qu’un employé de bureau l’avait égaré, il répondait : « moi y en a pôv nèg ! » Ça, c’est de l’humour !

Nous pourrions multiplier les exemples mais mieux vaut s’en abstenir.

En fait on s’aperçoit vite que ce qui est risible, ce ne sont pas les gens – surtout pas en raison des horreurs qu’ils ont subies - mais les actes, les choses, les attitudes, les habitudes dont on peut rire ensemble, même si l’on se sent concerné. On peut rire quand les blagues ne visent pas à asservir l’homme, à le rendre ridicule, voire méprisable. Quand elles ne servent pas à le nier en tant qu’être humain, comme ce fut le cas pour Madame Taubira notre ministre de la justice. On comprend vite que se moquer des hommes au prétexte qu’ils sont nés d’une ethnie différente et qu’ils sont reconnaissables à la couleur de leur peau, d’une culture différente mais ô combien complémentaire à la sienne propre, qu’ils ont une histoire particulière de souffrance collective, confine très vite à la haine de l’autre, cet autre dans lequel on se reconnait un peu soi-même, victime ou bourreau, victime et bourreau. C’est pourquoi les véritables humoristes s’inventent un ou plusieurs personnages qui incarnent ces actes, choses, attitudes et habitudes, objets de la moquerie. Car il ne s’agit pour eux que de moquerie, pas d’animosité, pas de désobligeance, pas d’appel à la haine raciale. C’était le propre de Dieudonné, du temps où il se produisait avec Elie Semoun, un temps révolu. C’est le propre de chacun d’entre nous, quand bien même nous ne sommes pas des humoristes professionnels, voire des humoristes tout court.

Vous rencontrez une personne obèse ou très vieille, bègue ou handicapée d’une manière ou d’une autre selon les critères de normalité de notre Société parfois trop civilisée pour encore comprendre l’essentiel du sens de la vie, quelle sera votre attitude ? Se moquer n’est pas drôle et touche à la goujaterie, plaindre n’est pas coopérant, tenter d’aider – selon les moyens que vous aurez à votre disposition est mieux. Savoir en même temps que nous sommes tous handicapés d’une certaine façon, que nous sommes tous « les gens » de quelqu’un, les idiots de quelqu’un, les têtes de Turc de quelqu’un et que nous avons ou aurons tous un jour ou l’autre besoin d’une solidarité active, c’est encore mieux ! Vous rencontrez une personne Noire qui se fait insulter pour rien si ce n’est la couleur de sa peau, quelle sera votre attitude ? Une personne juive, asiatique, amérindienne, quelle sera votre attitude ? Je connais, moi, l’attitude des Français qui ont sauvé l’enfant juif que j’étais et que les nazis avaient condamné. Ils n’ont pas ri !

Vous êtes Blanc ? Coluche parlait de vous en disant : c’est l’histoire d’un homme … normal… blanc. Et vous avez ri parce que si l’homme blanc a souvent souffert de guerres ou d’exactions diverses, ce n’était jamais en raison de la couleur de sa peau, c’était toujours par intérêt. Le vôtre ? Non ! Celui des commanditaires du conflit qui se cachaient derrière les nobles notions de Patrie ou de Religion ! Coluche vous donnait une leçon. Vous auriez pu entendre, si vous aviez dressé l’oreille, ce qui était sous-entendu dans ses propos, son deuxième degré bien à lui : c’est l’histoire d’un homme … normal… noir. Ou asiatique, juif, amérindien ou tout simplement pauvre … car pour lui, tout homme naissait normal et c’est la Société qui se chargeait de l’abîmer ! Il plaisantait, faisait rire en se moquant des travers des gens, mais il a inventé le resto du cœur !

Desproges, lui, disait : je suis fier d’être de ce pays où les juifs courent toujours. Il parlait de l’animosité des nazis envers les juifs qui ne pouvaient pas s’empêcher de se singulariser en arborant une étoile au revers de leur veston… une animosité réciproque, disait-il… Voilà de l’humour !

Ça vous a une autre gueule que « Shoananas, heilisraël et autres crématoires…dommage » du sieur Dieudonné qui ne se contente pas d’être antisémite ; qui va jusqu’à, pour attaquer la République et son Président, dénaturer de façon vulgaire la chanson culte de la Résistance, le chant du départ : « François la sens-tu qui se glisse …, la quenelle ? ». Pauvre homme, son bras quenelle, c’est son handicap à lui !

Le  langage et les gestes du racisme.

Le raciste, tout comme le xénophobe, a besoin de signes de reconnaissance et de ralliement qui dépassent le simple salut et le drapeau. Cela tient-il à la pauvreté de son oralité ? Peut-être. C’est le langage de la haine en tous cas - la haine des autres et la haine de soi – souvent poussée à l’absurde : le pas de l’oie comme s’il était naturel de marcher ainsi – même Lénine voulait que l’on fasse deux pas en avant, avant d’en faire un en arrière ; le bras tendu quand nul arbre fruitier ne vous tend ses agrumes. Ces gestes sont des démonstrations (ou tentatives de démonstration) de force physique et mentale individuelle et collective à l’échelle du groupe – voire d’un pays quand le groupe a « réussi », ce qui est toujours provisoire. Ils sont non seulement destinés à regrouper les partisans du chef, mais aussi à faire peur aux opposants de ce chef. Revoir les foules immenses, bras tendu sur la place de Berlin quand Hitler chauffait ses troupes civiles et militaires fait encore froid dans le dos quand on connait le bilan de ces hommes dans le monde, à commencer par celui de l’Allemagne.

Ces gestes sont, en complément aux paroles et particulièrement quand ils sont exécutés à dessein en des lieux sacrés de Mémoire, des actes de provocation. Ce sont aussi des moyens d’auto-motivation dont le gourou lui-même a besoin tant il connait, lui,  l’inanité à terme de son combat. Il y a aussi dans ces gestes une part d’ivresse et de sensualité, voire de sexualité : plus le chef débande, plus du chef il branle, plus il tend le bras ! Dieudonné, ta quenelle branle bas. Branlebas de combat, ô Dieudo, ah ! Dieudo, c’est sans intention de te blesser que je t’offre ce poème écrit par un homme que tes propos condamnent pour la nième fois, je t’offre son humour qui dit tout l’amour qu’il portait à toute l’humanité :

Maudit soit le père
De l'épouse du forgeron
Qui forgea le fer
De la cognée avec laquelle
Le bûcheron abattit le chêne
Dans lequel on sculpta le lit où
Fut engendré l'arrière-grand-père
de l'homme qui conduisit la voiture
Dans laquelle ta mère rencontra
Ton père

Robert Desnos (poète français né à Paris le 4 juillet 1900, décédé le 8 juin 1944 au camp de concentration de Theresienstadt mis en place par la Gestapo dans la forteresse et ville de garnison de Terezín, aujourd'hui en République tchèque. Wikipédia)

 

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