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Déferlantes et Ecumoire
27 décembre 2013

Un conte de Noël tiré de: Symphonie de la mémoire, La colline et villa Jacob, Livret 2 - 2/3

 

 

Le Chien De La Mémoire! FICTION TIRÉE DE FAITS REELS (PV rédigé par la police française : 22 novembre  1943

Référence : « Adam 166w, N°704/V/Zi »)

II

Dans l’allée, le chien m’attendait. Il déposa sa balle à mes pieds. Je la lui lançai, il la rattrapa, la prit dans la gueule et me la redéposa. Nous recommençâmes ce jeu deux ou trois fois, jusqu’à ce qu’au lieu de la balle, il lâche une enveloppe kraft. Je la laissai sur place et voulus sortir, mais le portail resta obstinément clos. J’allai retourner sur mes pas pour quérir de l’aide, mais le chien me devança, reprit au vol l’enveloppe et se mettant en travers de mes pas, me la proposa de nouveau. Je me baissai, la pris délicatement et la lui retendis comme s’il s’était agi de sa rouge baballe, mais il refusa de la reprendre. Je regardai l’adresse du destinataire et j’y vis mon nom, suivi de la mention : « pour écrire notre histoire ».

Le chien, accélérant alors son fouet, revint vers la grille et s’étant assis sur son cul de chien,  jappa pour me faire signe de sortir. Son aboiement modulé était proche de la parole. Comme j’accédai à sa demande, la rose m’accompagna de ses effluves, le portail en s’ouvrant me dit : « À bientôt », et de loin j’entendis le mur émettre un grognement étrusque de satisfaction. Je rentrai chez moi en courant, tant j’avais hâte de lire le contenu de l’enveloppe. Voici le texte que j’y découvris sur du papier d’emballage, écrit au crayon à encre bleu, de ceux qu’il fallait imbiber de salive pour obtenir une écriture visible : « Pour qui racontera notre histoire, qu’il soit béni :

« 21 novembre de l’année 1943. En cette fin de matinée, l’hôtel Excelsior, ex lieu de villégiatures niçois, semble avoir recouvré ses habitudes. Sauf que les clients sont des Allemands en uniforme de la Geheime Staatspolizei,  la gestapo, ou des Français en civil, coiffés de chapeaux mous et revêtus d’un très long manteau noir. Ils ont tous des mines patibulaires. N’ayant rien d’autre à se mettre sous la dent, ils tuent le temps. Les Français sont à la fois les collègues et les subordonnés des Allemands, les grades n’ont que peu de rapport avec la hiérarchie. Ici, chacun espionne et est espionné, chacun craint chacun. Certains boivent leur chope de bière, d’autres tirent nerveusement sur leur cigarette. D’autres encore jouent aux cartes. Plusieurs bronzent sur les bancs du square d’en face interdit aux Juifs et aux chiens.

Comme tous les dimanches, ils attendent le chef pour commencer la traque de la semaine. L’hôtel sert de prison de transit pour les Juifs qui seront raflés ici ou là, individuellement, en famille ou de n’importe quelle façon, en fonction des dénonciations anonymes. Une prime de cinq mille francs a été prévue pour chaque prise. Des affiches présentent sur les murs les Juifs comme des affameurs, des profiteurs spoliant la population. Pourtant, les résultats sont loin d’être satisfaisants. La population française ne joue pas le jeu. Pas plus à Nice qu’ailleurs. Quoiqu’il en soit, les raflés resteront entassés dans les chambres, sans eau ni sanitaires et avec presque pas de nourriture, jusqu’au samedi suivant où aura lieu le délestage hebdomadaire. Le samedi n’a pas été choisi par hasard, c’est une humiliation supplémentaire le jour du Shabbat où les Juifs ne doivent pas voyager. Les Niçois médusés pourront alors apercevoir une colonne d’hommes, de femmes et d’enfants hagards, épuisés, angoissés, tremblant, sales, souvent ensanglantés et aux vêtements déchirés, encadrée par des policiers allemands aux uniformes rutilants, en armes, avec des chiens bien nourris mais montrant par leurs crocs découverts qu’un petit supplément ne leur ferait pas peur. Ils remonteront la rue Durante, traverseront l’Avenue Thiers et s’engouffreront dans la gare où avec force cris et coups, ils seront poussés dans des wagons en partance pour Drancy,  le dernier camp de triage avant les camps d’extermination.

Moi, le Chien, je traîne devant l’Excelsior, comme je le fais tous les jours depuis que mon Maître, le Trésorier de la Villa Jacob, Monsieur Debenedetti, ancien marchand d’huiles, a quitté son domicile, cela fait quelques mois déjà. Je sais où il se cache et je veux veiller à ce qu’il ne soit pas rattrapé. Je vois le monde de bien bas, mais j’ai l’ouïe fine. Aussi, ai-je toujours un œil tourné vers le haut et une oreille tendue, je surveille. Sur le coup de dix heures, Aloïs Brunner, le commandant du camp de Drancy, justement, fait son apparition : uniforme impeccablement cintré, bottes miroir, casquette agressive.

Chacun de ces hommes vit dans la hantise de lui déplaire ; la sanction serait sans appel : transfert immédiat sur le front de l’Est. Adieu, alors, ce boulot peu usant, sans grand danger et souvent rémunérateur, car il est admis que les chasseurs conservent une part du butin ; finies les fêtes, les jolies filles, la douceur de la vie sur les bords de la Méditerranée ; vain serait l’espoir d’en revenir, sinon entier du moins vivant. Nul ne sait d’où le chef tire ses pouvoirs. Ceux qui ont eu le malheur de lui déplaire ne sont plus là pour le dire. Je le sais, moi, par un congénère à poils durs de la kommandantur qui, foi de Chien, me l’a juré : le chef est le bras droit d’Adolphe Eichmann, le coordinateur de la solution finale.

Ces hommes, Aloïs les a choisis : les Allemands dans la Waffen-SS, et, dans cette unité, les membres de la police politique qui ont compris que la fin en soi, le vrai but de cette guerre, c’est l’éradication du peuple Juif, le terme d’une traque millénaire. Les Français – les hommes sans uniforme sont plus efficaces pour la poursuite de fugitifs – sont des officiers de police mis hors cadre par la République française avant Vichy au motif qu’ils étaient plus intéressés par l’appât du gain que par la chasse aux criminels, ou parmi des droits communs dont le casier chargé est garant de leur servilité. Ceux-là sont, de plus, capables, lors des interrogatoires, de faire avouer à un ange de Dieu que les dix commandements ne sont que l’œuvre d’un faussaire.

Aloïs entraine son adjoint, le Lieutenant Fisher, sous la véranda. Ayant vérifié que nul ne peut l’entendre – qui remarque un chien qui dort, un œil ouvert au soleil sur le trottoir - il siffle entre ses dents :  «            Villa Jacob, 32 Petite Avenue du Prince de Galles.

-       Ya Wohl, mein Hauptsturmführer – Mon Colonel -, enfin, nous allons chez les vieux ! Ils sont presque tous octogénaires, je crois. Ce sera facile !

-       Rien n’est facile dans ce métier, Untersturmführer – Lieutenant - Nous nous passerons de tes appréciations. Exécute les ordres sans commentaire.

-       Entschuldigen Sie mir – excusez-moi -, mein Hauptsturmführer . Ils sont quinze résidents, je crois. Je pars tout de suite. Je les trouverai réunis dans la salle à manger, ce sera plus commode.

-       Ils seront dix-huit en comptant l’infirmière qui fait actuellement fonction de  Sous-directrice, le jardinier et la cuisinière qui ne sont pas Juifs. Quoique, la cuisinière, va savoir si elle ne fait partie de leur tribu. Avec la nourriture cachère ! En tous cas, elle n’est pas inscrite comme telle sur les documents. Donc, quinze ou seize Juifs et deux ou trois qui ne le sont pas, dix-huit.

-       Bien sûr, la cuisinière, quoiqu’en ce moment, ils doivent manger n’importe quoi. Je ne la comptais pas parmi le personnel. Je pensais aux deux autres.

-       Tu as tort. La punition s’applique aux Juifs et à tous ceux qui les aident.

-       Permettez, mein Hauptsturmführer. La Directrice et la cuisinière, je ne dis pas, mais croyez-vous qu’entretenir le jardin dans une Maison de retraite puisse être considéré comme une aide aux Juifs ? Les non-Juifs ne sont pas tous coupables !

-       Coupables, pas coupables, tu me les ramènes tous. Une bonne trouille n’est pas inutile, on ne peut pas savoir ce qu’il en sortira, peut-être aurons-nous de bonnes surprises. Parce que, si nous devions uniquement compter sur les lettres anonymes… Ici, ne l’oublie pas, c’est moi qui décide qui est Juif et qui ne l’est pas.

-       Vous avez bien raison, mein Hauptsturmführer, les délations sont rares. Si nous permettons aux Français de croire qu’ils peuvent aider les Juifs, nous ne remplirons jamais notre mission. Bien sûr, c’est vous qui déciderez de la culpabilité de chacun.

-       Autre chose. Tu feras avouer à la Sous-directrice où se cache sa patronne. Tiens, prends ce carnet, tu y trouveras tous les noms et adresses.

-       Danke shön, Her Hauptsturmführer – Merci, Mon Colonel -. Les Français participeront-ils à l’arrestation ?

-       Non, ils t’attendront ici. Tu pourrais avoir besoin d’eux pour faire parler l’infirmière.

-       Oh ! Pour ça, je m’en tirerai bien tout seul, allez ! Quinze hommes suffiront, je crois.

-       Prends 3 voitures et un camion. Que tes hommes ne soient pas en uniforme. Évite de faire procession, ne fais pas crisser les pneus dans les virages de l’Avenue des Arènes, en un mot, essaie de ne pas attirer sur toi les regards. Les Niçois n’affectionnent pas nos descentes, alors, quand l’une d’elle concerne une Maison de retraite hébergeant des octogénaires, ils aiment encore moins.

-       Ya Wohl, mein Hauptsturmführer – Oui, Mon Colonel ! »

Le Lieutenant Fisher n’en est pas à sa première arrestation. A 12 heures précises, deux tractions avant 11 légères de chez Citroën et une Peugeot 301 s’arrêtent Petite Avenue du Prince de Galles, chacune à une intersection de rue encadrant la Villa Jacob. Une dizaine de policiers en civil en descendent et se précipitent dans la rue, fermant toutes les issues côté rue. Côté jardin, la Villa Jacob donne sur un à-pic vertigineux impraticables à quiconque, alors des vieilles personnes…  « Il faut craindre les manifestations hostiles des voisins bien plus que la fuite des octogénaires» semble penser l’officier. Seuls la 301 Peugeot et le camion stoppent devant la Villa. Bien entendu, moi le Chien, j’ai suivi. Quand à douze heures et cinq minutes Fisher à la tête d’un groupe de cinq policiers révolver au poing fait irruption dans la salle à manger, je suis sur ses talons.

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